[]
#29

W

Rouleau d'écran de poésie
sous économie d'énergie
#29 • 03/23






Carrie Bennett

Cartes postales d'un collecteur de mémoire




(Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Samuel Rochery)



Il est temps de partir
à la recherche des plantes fantômes


dessine une carte précise de la forêt
et du champ dont les sentiers sinuent

à travers moulins à vent et bouleaux

toutes les fleurs ont une bouche

les lignes conduisent à un petit cercle
où tu verras les fantômes

et une horloge qui dévore ses propres mains




Les avions se déplacent à travers des nuages de cuivre

tu fabriques des objets avec tes mains

de fines bandes de papier
pliées pour donner un merle aux ailes rouges

la carte recouvre chaque pièce de la maison
une lettre attend

d’être écrite tu ne trouveras pas

les mots justes
jusqu’à ce que l’année s’effondre en un tas de lumière




Dans une autre histoire tu avales
des comprimés comme des pétales


et regarde les performeurs
jongler avec des horloges

quelque part sur la scène ton petit ami
agence tout le matériel tandis que

tu fermes les yeux au son du carillon éolien

jamais tu ne te fais de bile pour la chasse tu
n’attends rien des peintures murales d’envols

sur la scène tu oublies
d’enregistrer la neige

du silence
comme si le langage était un appareil

pour suivre pour voler pour tracer un sillon retour




Le vent détend les lignes à haute tension

tu comptes le nombre de vibrations

dans l’écho du départ
le matin devient un cratère sombre

même une particule de peluche peut arrêter le soleil

tu étudies chaque ombre
pour parvenir au bon roulement à la bonne vitesse




Dans une autre histoire tu ne pars jamais

beaucoup d’années à ne pas écrire
les mots justes

tu empiles les lettres
comme autant de lanternes

un averstissement dans l’ambition

tu essaies de te convaincre
de régurgiter

dans le mot
ghostmaker disparaît sa silhouette

tu parcours la ville presque en oubliant




Tu rêves qu’une porte ouvre sa bouche

les mots s'ébruitent comme un message
qu’on écrirait depuis un nuage

plus d’années passent

tu transportes une pierre rouge

tu te fais tatouer une carte sur les bras
et étudies le système solaire

une brûlante actualité de sonneries et de vagues

tu fais un paquet de prunes vertes et de papier
tu ramènes ton chien dressé pour tuer




Pour aider à la mémorisation de la fable sur la biche ratée

quand elle naquit
ses sabots étaient petits comme des boulons

son cou si faible
qu’elle ne pouvait boire le lait de sa mère

yeux clos des semaines durant

tu as de la veine

tu as des mains
ta bouche est puissante




Dans une autre histoire tu transportes un plongeon huard
et modèles tes empreintes digitales


ton petit ami boit tellement
trop qu’il en meurt

tu regardes le lac se changer
en champ gelé

tu te fais du souci pour les rescapés

une toile d’araignée un corbeau
les mots deviennent leur action

plus proche du brouillard du ciel bleu c’est probable

non c’est pas ciel ou lumière
c’est pas comme

des objets sans leur visage




Continue de t’enfoncer dans la forêt

tu rencontres des sortes de cerfs
des fleurs diaphanes leur poussent des ramures

les arbres ont la forme de corps

les branches ploient comme des dos courbés
des visages maculés de feuilles

tu attaches des rubans rouges à tes doigts
et t’accroupis tout près du sol

témoin de la plus triste des floraisons

ça rappelle beaucoup
des petits hippocampes sans racines




Dans une autre histoire tu transportes
une boîte dans ta bouche


dedans un oiseau chante
jusqu’à ce qu’une ampoule brille tellement fort

qu’elle remplace le feu et même le soleil

là tu apprendras
où les mots vont mourir

tout sera nouveau
et terrible en même temps


--

Suite extraite de Lost letters and other animals, Black Lawrence Press, p. 28-36, 2021. Une autre partie de ce même livre est lisible en français sur le blog Poésie: Face B.




Steve Savage

Tutu




1. La table des correspondances

1    e é è ê  tu le troues OU tu les troues OU troue-le OU troue-les
2    s     tous OU tout OU tu troues
3    a à â    sussure ou sussurent
4    i î    plus ton toutou
5    t     ce qui te précède
6    n     ce qui te suit
7    r     ton toutou
8    u     ça ça se troue
9    l     le su OU le sûr OU le lu OU le su le lu OU le su sûr lu
10   o     plus ton tutu
11   d     ton tutu
13   p     tout ça
14   m     tous plus ton toutou OU tout plus ton toutou
15   v     tous plus ton tutu OU tout plus ton tutu
16   q     c’est ça
17   f     s’est tu
18   b     tu le décortiques
19   g     tu le rognes
20   h     ça se troue
21   x     ce qui se sait
22   ’     tu tires OU tu l’étires
23   ,     t’essouffle OU t’essoufflent OU essouffle-le OU
                                [essouffle-les
24   .     t’étouffe OU t’étouffent OU étouffe-le ou étouffe-les
25   /     tous et toutes

(L’ordre des éléments dépend de la fréquence des signes en français.)




2. La source

La poésie est la pensée humaine. // Le poète est intelligent. Il prépare la pensée difficile. / La pensée est engoncée, dure et pâteuse, le poète la masse, l’amollit, la réchauffe. Il entraîne l’intelligence à sortir de son engourdissement, il entraîne sa tête, les membres de sa cervelle, sa nuque et ses dix doigts à sortir. Il veut se désincruster. Il décortique la bouche et rogne le bras droit de son maître. Il s’entraîne à bouger la tête à l’intérieur de la pensée.

(Christophe Tarkos, Écrits poétiques, « La poésie est une intelligence », P.O.L, 2008, p. 57.)




3. TUTU

Le su sussure tout ça plus ton tutu tu les troues tous plus ton toutou troue-les troue-les tu troues ce qui te précède le su sûr sussure tout ça troue-le ce qui te suit tous tu les troues troue-les ça se troue ça ça se troue tout plus ton toutou sussurent plus ton toutou ce qui te suit troue-le étouffe-les tous et toutes tous et toutes le su sûr lu troue-le tout ça plus ton tutu troue-les ce qui te précède troue-le troue-les tu troues ce qui te précède plus ton toutou ce qui te suit ce qui te précède troue-les le su sûr le lu plus ton toutou tu le rognes troue-les ce qui te suit ce qui te précède t’étouffent plus ton toutou le lu tout ça ton toutou tu le troues tout ça sussure ton toutou troue-le le su sussure tout ça troue-le ce qui te suit tu troues tu les troues troue-les c’que t’as plus ton toutou s’est tu s’est tu plus ton toutou ton tutu plus ton toutou le su troue-le étouffe-le tous et toutes le su sûr lu sussure tout ça troue-le ce qui te suit tu troues tu les troues troue-les troue-les tous ce qui te précède troue-le ce qui te suit tu le rognes plus ton tutu ce qui te suit ton tutu tu le troues troue-le essouffle-le c’que t’as ça ça se troue ton toutou troue-le troue-le ce qui te précède tout ça sussure ce qui te précède troue-le ça ça se troue tu troues troue-les essouffle-les le su troue-le tout ça plus ton tutu troue-le ce qui te précède troue-le le su sûr sussure tout plus ton toutou sussurent tu troues tu troues troue-les essouffle-les le su sûr lu tu l’étires sussure tout plus ton toutou plus ton tutu le su le su sûr plus ton toutou ce qui te précède t’essouffle le su sûr lu sussure ton toutou tu le troues ton tutu ça se troue sussure ça ça se troue s’est tu s’est tu troue-le étouffe-le plus ton toutou le su troue-le ce qui te suit ce qui te précède ton toutou sussurent plus ton toutou ce qui te suit troue-le le su le lu tu l’étires plus ton toutou ce qui te suit ce qui te précède troue-les le su sûr lu le su plus ton toutou tu le rognes troue-le ce qui te suit ton tutu troue-les sussure tous plus ton tutu ton toutou ce qui te précède plus ton toutou ton toutou c’que t’as troue-le tous plus ton tutu ce qui te suit troue-le ce qui te suit tu le rognes plus ton tutu ça ça se troue ton toutou c’que t’as plus ton toutou tout tous troue-les tout plus ton toutou troue-le ce qui te suit ce qui te précède t’essouffle plus ton toutou le lu troue-le ce qui te suit ce qui te précède ton toutou sussurent plus ton toutou ce qui te suit troue-les tous sussurent ce qui te précède tu les troues ce qui te précède troue-les essouffle-les le su sûr lu troue-les tous tout plus ton toutou troue-les tout plus ton toutou tu le décortiques ton toutou troue-les tous c’que t’as troue-les tout sussure ton tutu troue-les ton toutou tout plus ton tutu troue-les le su le su troue-le essouffle-le tout sussure ce qui te suit ça ça se troue c’est ça ça ça se troue troue-les troue-les ce qui te précède tous troue-les tout c’que t’as plus ton toutou ce qui se sait c’que t’as plus ton tutu plus ton toutou tu le rognes ce qui te précède tout sussure tous plus ton tutu ton toutou ce qui te précède plus ton toutou ton toutou t’étouffe plus ton toutou le su sûr lu tout plus ton tutu troue-le ça ça se troue ce qui te précède tous troue-les c’que t’as tu les troues tous plus ton toutou ce qui te suit ton tutu ton toutou ça ça se troue tu troues ce qui te précède troue-le ton toutou étouffe-le plus ton toutou le su c’que t’as tu le troues ton tutu plus ton tutu ton toutou ce qui te précède plus ton toutou c’est ça ça ça se troue troue-le le su sûr sussure tu le décortiques plus ton tutu ça ça se troue ton tutu ça se troue troue-le troue-le ce qui te précède ton toutou plus ton tutu tu le rognes ce qui te suit troue-le le su sûr troue-le tu le décortiques ton toutou sussure tu troues c’que t’as ton toutou plus ton tutu plus ton toutou ce qui te précède c’que t’as troue-les tous plus ton tutu ce qui te suit tout plus ton toutou sussure plus ton toutou ce qui te précède ton toutou troue-les étouffe-les plus ton toutou le su le lu tout tu l’étires troue-les ce qui te suit ce qui te précède ton toutou sussurent plus ton toutou ce qui te suit troue-les sussure tu le décortiques plus ton tutu ça ça se troue tu le rognes troue-le ton toutou le su sûr lu sussure ce qui te précède tu le troues ce qui te précède troue-le sussure le su sûr lu tu l’étires plus ton toutou ce qui te suit ce qui te précède tu les troues ton toutou plus ton toutou troue-les ça ça se troue ton toutou c’que t’as troue-le le su sussure tout ça troue-le ce qui te suit tous tu les troues troue-les étouffe-les.




4. La machine à danser






5. L'instrumentalité







Alexandra Zavrajni

Poèmes au porte-manteau




Les lumières d'un théorème de la pluie
me rendent aveugle, mais je tiens toujours
à ce que les oiseaux soient des parapluies
que le vent casse en boucle.


*


On peut s'emparer du couteau
le plus émoussé du tiroir.

On peut s'occuper de la langue
comme de l'arrosage.

Oh, ce partenariat :

les baies noircissent lentement
sur les branches d'une cuisine.


*


Il y a toujours de la blancheur qui mange quelque chose ;
une frontière imaginaire qui mord dans les images ;
un camion de déménagement qui avale les meubles.


*


Je me cache derrière l’ambulance et les sirènes
tandis que la blancheur
me traque comme on traque

les hiéroglyphes dans le tapis d’une contrée
étrangère où toutes les adresses
échappent
à leur contexte.


*


Les rues en manque de grosses pluies
ressemblent à l’intérieur moite d’une flûte.


*


Un couteau émoussé
dans la main, face

à une tomate
qui n’existe pas –

ce trou dans le son

d’une musique qui commence
c’est le sens exact –

à peine une trace dans la doublure
d’un vieux manteau qui aurait fait

je ne sais plus quel pays sur mon dos.


Stéphane Vromanne

Crise de la cent-vingtaine


J'avais six ans lorsque j'ai signé pour la faillite morale

J'avais dix ans lorsqu'on m'a dit que mon langage était
intrinsèquement classiste.

A treize ans, j'ai commencé à définir la gentillesse
comme « faire plaisir à ceux qui aiment ton équipe favorite ».

A vingt ans, j'ai embauché un secrétaire pour écrire
     mon profil LinkedIn.

A trente ans, j'ai commencé une thérapie par la parole
     à la radio.

A quarante et un an, j'ai commencé à regarder
de façon oblique en disant que c'est intérieur.

A quatre-vingt six ans, je suis un work-in-progress confirmé.

Aujourd'hui, à cent vingt ans, je suis une bien
belle boule de gomme,
et j'ai presque oublié le nombre
incalculable de nuits que ça m'a coûté,
coincé dans la chaussure de l'esprit humain,
pour venir ici et dire :

ne laisse personne t'humaniser.

Ne laisse personne souiller ton objectivité
même si des gens y mettent tout leur coeur.




Guillaume Dorvillé

(Extraits de Happy Ending)





CARACTÈRE SANTÉ
ALIMENTATION PRIX
ET ENTRETIEN

Regarde bien la tête que
tu fais sur cette photo
avec cet air dégoûté
qu'est-ce qui a bien pu se
passer ce jour-là je me
demande
On roulait sur des mini-
motos avec dans la tête
des images d'hélicoptères
et de lance-flammes
Toujours ces images
d'enfants décharnés le
napalm les films la belle
vie les bagnoles la guerre
les meufs Saddam le
pétrole l'ennui mortel l'été
heureusement j'adore être
seul loin de tout le monde
sur mon vélo dans les
livres la nuit


-


DRÔLE D'ÉTOILE

Un peu d'essence aviation
pour voir l'aiguille
s'envoler
Passer au drive
Sentir la violence se poser
sur nos épaules comme un
ami intime
Ne jamais craindre
d'esquinter son visage et
ne jamais rien lâcher
De Carrefour
Claye-Souilly à la gare
RER de Torcy
Il y a des jours avec
La vie blague pas avec toi
Je regarde les étoiles et je
vois du mouvement
Tout le reste de la vie sans
L'aiguille s'envoler


-


TOUT M'EST ÉGAL

On était jeune et on a
brûlé quelques galaxies
Chewing-gum blanc short
rouleaux canettes de coca
On écoute Bob Marley
Mes sentiments sont
bouées à cloches
Je marchais la nuit en
filmant sur des bandes
magnétiques
Tout est parti en couilles
Personne fait rien on peut
crever ça dérange
personne
Ça dérange pas les étoiles
Les galaxies brûlent ma
vie est un boomerang
La colère est mon clébard
et je le sors tous les jours


-


GÉNÉRALEMENT
TRÈS FRÉQUENTÉ

Dans les parcs ta haine est
suspendue partout comme
des guirlandes
Se tenir sur ses gardes
prêt à croire que tu
m'attends assis quelque
part que tu étais là toutes
ces années à m'attendre


-


VOUS AVEZ LE CHOIX

Capotes périmées film à
la critique négative plat
préparé William Saurin
cigarettes Fortuna sortie
magasins d'usine à Troyes
restaurant Ikea menu
enfant (Petit Viking)
3,75€ boulettes végétales
(8 pces) 4,95€ boulettes
de légumes (8 pces) 5,95€
boulettes à la viande (8
pces) 6,95€ plat du
moment 7,50€ filet de
poulet 7,95€ filet de
saumon 8,50€ fish &
chips 8,95€ brochette de
bœuf (origine
France) 9,95€ coup de
pied dans la gueule coup
de pied dans les couilles
coup de pied dans la
chatte


-


TOUT LE MONDE S'EN
BRANLE DE TA VIE
DE MERDE

Fan de nos boulettes végé
ou de tarte chocolat &
caramel ? Nos restaurants,
bistros et épiceries
recrutent ! Passez un
tablier et venez partager
votre sens du service et
goût du travail en équipe.
Rejoignez-nous


Sylvester Stallone

Poème du souvenir imaginaire
du synopsis du deuxième Rocky



(Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Alain Dorval)


Pour Talia Shire


Tu nais du processus qui anime et remplace
la forme et le fond. Le processus est social autant

qu’un poème débat dans une foule. Je te parle –
réaffirme l'air entre nous qui vient aussi de transpirer.

En un sens, je me crée à travers chaque ouverture.
Voilà que des abeilles font des nids

d'abeille dans les nuages où poussent leur butin –
ce poème, jamais je ne l'avais vu en Rocky Balboa,

mais c'est bien lui parmi les gens.
D'ailleurs, je n'ai jamais connu personne du nom de Rocky.

Intimement du moins. Personnellement.
D’aussi près, je veux dire, que lorsqu’on tend la main

pour toucher une autre main. Mais j'imagine que mon Rocky
porte des lunettes avec des verres correcteurs,

un bandana à pois et un sac Tuf Wear ; il prend le bus
et colle sa tête contre le verre enduit du gras des doigts

en espérant couper le son de la conversation des gens.
Je pense au collier de perles qu'il cache

sous son col roulé, et qui devrait faire aussi classe
que le chapelet de ma grand-mère accroché

à la statue de Marie sur la commode
en érable. Peut-être que je pense juste

qu'il fait ses lacets comme on oublie son personnage.
Peut-être que le nom de mon chien c’est Rocky ;

ma mémoire, une publicité, un
blockbuster complètement nanar –

elle s'intègre à l'empire commercial des déchets.
La mer et les coquillages se reconnaîtront

quand ils auront bien enregistré pour le disque
des oreilles qu'on colle le nom de Rocky.

Je me souviens de la mer comme d'une forme
de crevasse dans chaque mot ; toi, tu avais le jeu

de jambes parfait pour animer une foule de
syllabes manquantes.





Didier Bourdon

Marcel Patulacci, gardien de la poésie avant tout



Et Marcel arrêta
de chouiner
au sujet de la poésie.


Et Marcel apprit qu’il y avait des gens bien. Et Marcel collectionna tous les .mpeg et autres .avi de poèmes sauvés par des gens bien. 1) On a trouvé ce poème à côté de la route, il était endolori et n’attendait que sa fin. Mais un miracle a fait que ce petit poème soit sauvé et réussisse à se remettre sur pied. Sa joie de vivre a démontré que rien n'est impossible. 2) Elle passait en voiture quand elle a aperçu un poème abandonné et elle a décidé de s’arrêter pour l’aider. Quand elle s’est approchée de lui, il lui a directement fait la fête. 3) Un pauvre petit poème est resté tétanisé au milieu de la neige. Il faisait tellement froid qu'il ne pouvait pas bouger. Mais ces personnes étaient là pour l’aider et pour le sortir de cette situation horrible. 4) Ses petits sont nés dans de mauvaises conditions poétiques, tout ce qu'ils voulaient c'était un peu de nourriture mais ils recevront bien plus. Un foyer et beaucoup d'amour les attendront. 5) Il a trouvé un poème trempé et plein de boue, il n'a pas hésité avant de l'emmener chez lui pour lui donner un bon bain chaud. 6) Quelqu'un de sans pitié avait attaché ce poème dans une maison abandonnée. Cette personne prétendait qu'il ne pouvait rien en faire, mais grâce à d'autres cette injustice a été réparée. 7) La pauvre poésie demandait de l'aide à tous ceux qu'elle croisait mais cela paraissait inutile. Elle avait déjà baissé les bras, mais ne savait pas que sa vie prendrait un tournant inattendu. 8) Il a été abandonné dans les égouts par chance les sauveteurs l'ont écouté et l'ont sorti de là. Ce magnifique poème allait enfin connaître l'amour et l'espoir… En 2001, Marcel lance sa marque de poèmes qui sauvent le poème :



Je m’appelle Marcel,
la poésie
ne mourra jamais
tant que je serai là.


Dans des miroirs chinois
Dans le bleu des photos
Dans le regard d'un chat
Dans les ailes d'un oiseau
Dans la force d'un arbre
Dans la couleur de l'eau
Je nous perfuserai. En 2003,



les ventes de poèmes
de marque Marcel


sont significativement plus faibles que les années précédentes. Non pas que les Marcel ne se vendent pas, mais l’évolution de la poésie et des poètes fait que ces derniers sont à la recherche d’un son différent des Marcel. L’année suivante, le poème Marcel est plus mince avec un corps en bois de Boulogne et une table de strophes plates, et dispose d’un double cutaway qui rend les friches supérieures plus accessibles à la dinguerie. La jonction entre les hémistiches a été déplacée de trois friches afin de faciliter l’accès au degré supérieur de la véracité du poème. La fabrication d’un corps de voix simple réduit les coûts de production, et le nouveau Marcel, avec son profil de langue fine et son petit talon d’Achille, est annoncé comme ayant la langue la plus rapide du monde. Bien que le nouveau poème soit populaire, Marcel lui-même n’aime pas le boucan, et il demande le retrait de son nom du nouveau poème. Il reste malgré tout sous contrat avec la poésie. Il a été photographié avec le nouveau poème à plusieurs reprises dans des positions suggestives. A partir de 2004,



Marcel est
de plus en plus
convaincu que la poésie
consiste à écrire
de la poésie.


Pour les gens, oui, bien sûr,
mais aussi pour lui-même parce que
les gens eh bien c'est comme plein de lui. Et aussi,
Marcel est de plus en plus convaincu que quand il écrit,
l'alphabet lui permet de le faire.
Il lui semble raisonnable de penser que
pour écrire, la moindre des politesses est d'utiliser
les lettres de l'alphabet, sans crispation, décon
[ouais, on a chiadé la coupe] tracté du gland.
Marcel tient à partager ce qui lui fut révélé.



Marcel est
de plus en plus
convaincu
qu'on peut écrire
tout en respirant —


la littérature n'est pas séparée de la vie. Le poème exige une révolution intérieure, en commençant par les narines. Les champions d'apnée, Marcel il dit que pour eux, c'est niqué : ils ne peuvent pas écrire de vraie poésie. Marcel tient toujours à partager ce qui lui fut révélé. Le 23 septembre 2005, Marcel se la coule douce au Poème Paradis, mais c’est aussi le jour d’un grand chamboulement dans l’histoire de la poésie, dont nous n’avons malheureusement que le synopsis.



Au Poème Paradis,

tout le monde se réjouit à l'idée d'accueillir Victor et ses fameuses Contemplations. Le jeune poète compte y organiser des animations sur le thème de la lose du monde dans sa totalité. Seul Marcel prend ombrage de l'arrivée de Victor, qui n'est autre que l'ex-petit ami d’Homère, auquel il n'a visiblement toujours pas renoncé. Marcel, de rage, se met à fantasmer sur les punks à caniche. Au même moment, Henri, étudiant en psychotropes, vient retrouver ses parents au Poème Paradis. Sous mescaline depuis trois mois, il leur annonce qu’il va se marier, et leur présente William, l’amour de sa vie. Alors que sa mère est très enthousiaste, son père, féru de contemplations, se montre d'emblée beaucoup plus froid avec le jeune Henri… Henri trouvera-t-il réconfort auprès de Marcel ? Et Marcel, auprès d’Henri ? Les gens ont-ils des destins ? Guy Marchand chante-t-il "Destinée" en hommage au poème du même titre de Michaux, quand il parade devant la



Love Machine ?

Déjà, nous étions sur le plateau, déjà je chantais, j'étais aux anges dans mes câbles, quand, m'arrivant tout d'un coup, comme l'échéance d'une dette, le malheur à la fidèle mémoire se présenta et dit C’est moi, Guy Marchand, allons, rentre chez toi. Et il me coupa le micro, ce ne fut pas long, et je rentrai chez moi comme on rentre dans sa langue.






Pénélope Cruz

Poème d'hibernation



(Traduit de l'espagnol par Chloé Guézo)


Papa, j’ai fait un rêve, tu creusais
huit trous, tu y logeais des enfants
et des lampes funéraires pour la chanson
de l'oiseau. On y racontait quelque chose

à partir d’une partition pour orchestre censée musiquer
une remise de prix. Les changements
climatiques étaient provoqués
par des promoteurs du grand air

contrôlant tous les systèmes : les morts
étaient digérés par la neige.
Pas d’autre choix que d’attendre
d’être un jour de supers-revenants.

Le sanctuaire enneigé de Lazare,
je l’ai toujours trouvé triste : la lumière nait
du désespoir et de la vitesse. « n’aie pas peur
de dormir, c’est nécessaire si tu veux

faire exploser la scène ». Papa,
si je dois rester [principes d’amour ;
poussière d’argent ] – je resterai
fidèle à l'intrigue plutôt que –

le hibou ! Un nœud coulant ! Janvier !
Comment se souvenir de ce dont nous avons besoin
[là tout de suite] ? De retour sur les planches,
tu ne m’as même pas offert de cadavre,

mais tu m'as bien bien rappelé que la douleur humaine
c’est un bleu qui moisit même quand la douleur nous manque,
et que nous nous marions. Oh, rassure-moi :
ça ne marche pas. Reprise, reprise

Chanson de l’oiseau : les paroles disent que
j’ai transmis ton cadeau à la nature : orage [ pluie /
neige], et que les pronostics sont ouverts : essaie
de me trouver sous une avalanche. Les premiers huit

mètres, tu auras besoin d’une bougie ;
je suis le cadeau d’anniversaire à l’état d’ébauche,
un amour que tu aurais balayé, puis caché sous la moquette
d’une « maman ». Si tu ne souris pas,

papa, je vais être honnête,
je serai au Cimetière, on se verra
demain. Et la manière de hanter
est différente sur ce type de terre :

la vie s’écoule ; il n'existe pas de photo d'elle.
La parentèle obscure est une justification
du lieu du rêve,
huit trous / pas de gâteau / angoisse

Je propose qu’à notre réveil nous commencions par tuer
la mémoire respiratoire.
La vie devrait couler avant
que nous quittions le navire. Un peu de

cyanure pour le petit-déjeuner,
et une lobotomie deux fois par jour ;
il n’y a pas d'harmonie sans contradiction,
papa. La fin de ta maladie

c’est perdre l’amour de l’art c’est perdre
l’amour qui nous expose à la débauche.
Et maintenant je suis une renarde. Tiens-moi au courant
lorsque les conditions seront bonnes pour réapparaître.



































Ce vingt-neuvième numéro de Watts
a été achevé de coder
le 23 février 2023,
sur l'ordinateur de Robert Watts.