J’ai descendu donc du cercle premier
au second, qui entoure moins d’espace
mais bien plus de douleur faisant crier.
Là est Minos1, grinçant, qui les sangs glace !
D’entrée, les vices, il les examine,
puis juge, écroue, suivant comme il s'enlace.
Je soutiens que lorsqu’une âme coquine
y va, les aveux fuient de son cerveau,
et ce fin inquisiteur des poitrines
voit la région d’enfer que ça lui vaut :
il se ceint de sa queue autant de coups
que l’intéressée descend de niveaux.
A lui sans trêve en radinent beaucoup :
chacun son tour avance au tribunal,
cause, entend, puis est jeté par le cou.
« Toi qui pointes au guichet infernal ! »
fait Minos à ma pomme qu’il constate,
arrêtant sa procédure pénale,
« halte ! tu sais pas où tu mets les lattes !
ça t’abuse la largeur des battants. »
Alors mon guideur à lui : « Tu te grattes !
tu barreras pas son circuit longtemps :
c’est voulu ainsi là où c’est possible
tout ça qu’on veut ! sois pas guère insistant… »
Ore démarrent les notes pénibles
crevant les tympans ! ore suis venu
là où des sanglots infinis vous criblent !
Je vins en un lieu de lumière nu,
qui hurle comme fait la mer en pleine
houle, battue de zefs en continu.
Un cyclone, qui jamais se réfrène,
entraîne les morts que le souffle fauche,
et les roulant, les tamponnant, les gêne.
Or, quand un ravin face à eux s’ébauche,
là montent grands cris, pleurs, plaintes émises !
là ça gerbe au Tout-Puissant des débauches
d’affronts ! J’eus vent qu’à géhenne ainsi mise
étaient damnés les vicieux pornophiles
qu’eurent l’âme aux moches pulsions soumise.
Tels, battant d’ailes, des moineaux fragiles
que le froid balaie en dense nuée :
ainsi ce vent prend les esprits fébriles,
et çà ! et là ! bas ! haut ! les fait ruer.
Zéro espoir de répit ils caressent,
ni même de peine moins accentuée !
Et comme les grues chantant leur tristesse
font d’elles, dans les airs, longue enfilade,
je vis se présenter l’hurlante laisse
des spectres balayés par la tornade.
Pour ça je dis : « Maître, qui donc c’est-il,
ces gens éventés de façon malade ? »
« La première de ceusses », dit Virgile,
« dont l’histoire de sa vie tu convoites,
fut reine de jargons nombrés par mille2!
A la débauche elle fut tant adroite
que pour ôter le blâme qui l’imprègne,
sa loi fit du bon plaisir chose droite !
C’est Sémiramis ! dont l’histoire enseigne
qu’à Ninus aimé elle succéda,
gouvernant l’empire3 où le Sultan règne.
Là y a Didon4 ! que l’amour suicida,
parjure envers les cendres à Sichée !
et Cléopâtre ! où le vice abonda.
Et là, Hélène ! qui moult a fiché
aigres temps ! et là, le grandiose Achille !
qui avec Amour s’est fort agriché5 !
Là Pâris6 ! Tristan !… » et de plus de mille
morts il dit les blases, les désignant
de l’ongle, qu’Amour faucha de nos villes.
D’avoir ouï ce sage expert m’alignant
dames d’avant et chevaliers servants,
douleur m’en vint, dont je fus trépignant.
Moi : « Poëte ! j’ai un désir crevant
de causer aux deux-là7, qui vont rivés
avec l’air de frêles plumes au vent. »
Et lui : « Attends qu’ils soyent dérivés
plus proche de nous, alors tu les pries
au nom de l’amour : ils vont arriver ! »
Dès que le zef nous charria ces esprits,
je fis : « Hou ! hou ! harassés de la tombe !
venez, si rien l’empêche à aucun prix ! »
Comme à l’appel du désir les colombes
vont par les airs, les plumes déployées,
droit au nid doux, où leur ardeur retombe :
quittant la file où Didon est broyée,
ils s’en vinrent par de malignes rondes,
si attendri fut mon cri aboyé.
« Ô créature bien bonne et gironde !
qui vas cherchant dans le bleu de la nuit
nous deux, dont le sang colora le monde !
s’il ne nous désirait pas tant d’ennuis
le roi de tout, nous lui ferions prière
pour toi, qui souffres de ce qui nous nuit.
Ce que dire ou ouïr il pourrait vous plaire,
nous voulons bien l’ouïr et puis l’aborder
(si, comme là, rugit un peu moins l’air).
La cité de ma naissance est bordée
par la mer où le Pô tait sa rumeur,
gros des rivières qui l’ont raccordé.
Amour, qui tôt s’amarre aux gentils cœurs,
le fit, lui8, tant s’emballer pour mes grâces
envolées, que même là j’en repleure !
Amour à l’aimé d’aimer ne fait grâce9 :
je m’en épris aussi tellement fort
qu’encore, tu le vois bien, ça me brasse !
Amour nous embringua en même mort :
Caïne10 est pour qui nous a surinés !... »
Tout ça, dit pour deux, parvint à bon port.
Après avoir ouï ces morts chagrinés,
j’inclinai la frange et tant la tins basse,
que le poëte dit : « T’as l’air miné ? »
Quand je pus l’ouvrir : « Ah merde ! ah hélas ! »
fis-je, « les doux pensers, les fous délires
qu’ont déclenché que ces deux-là trépassent ! »
Puis je me tournai vers eux pour leur dire
cette chose : « Francesca, tes martyres
me font du mal ! mes mires en transpirent !
Mais dis : du temps de vos tendres soupirs,
à quels symptômes, comment qu’Amour fit
pour que vous décodassiez vos désirs ?
Et elle : « Il n’y a pire rififi
en soi qu’en se repassant le bon temps
ruiné ! Ca, ton guideur le certifie !
Puisque toutefois ton envie est tant
vive d’ouïr la graine de nos désirs,
je vais t’en causer, tout en sanglotant…
Ensemble un jour nous lisions à plaisir
quand Lancelot fut par Amour scrafé
(sans male intention venue nous saisir).
Plus d’un coup nous fit nous entre-gaffer
le livre, et nos joues se décolorier ;
mais un point seul nous fit bientôt gaffer :
quand nous lûmes le sourire prié11
baisotté par un si beau soupirant12,
celui-ci13 (dont on m’a plus démariée)
m’embrassa dans la bouche, en transpirant.
Galehaut14 ce conte ! et qui l’a écrit !
Car alors lire fut moins inspirant !… »
Quand nous pénavait ça l’un des esprits,
l’autre chialait, au point que de pitié
je me pâmai comme si mort m’eût pris !
et chutai de mes kilos tout entiers.
-----
NOTES
1 … Minos : Dans la mythologie, Minos est un roi crétois dispensant la justice. Par suite, Homère puis Virgile, dans leurs poèmes, l’érigent en juge des enfers. Dante développe l’idée, mais ôte au personnage toute dignité, l'affublant notamment d'une queue ; il en fait de la sorte une figure médiévale grotesque, mi-bête mi-juge (en cela assez ressemblante, au fond, aux vrais magistrats qui font rage dans les cours du monde entier).
2 … reine de jargons nombrés par mille : Sémiramis, reine assyrienne légendaire, fondatrice de Babylone, dont l'empire s'étendait sur des milliers de kilomètres, de races et de langues.
3 … empire : Babylone, mais Dante confond la Babylone de Mésopotamie et la « Babilonia » où siégeait le Sultan, c’est-à-dire Le Caire.
4 … Didon : Autre reine légendaire, fondatrice de Carthage, dont la postérité est due à Virgile. Dans l’Enéide, elle rompt le vœu qu'elle avait formé de rester fidèle à Sichée, son défunt mari, en devenant l'amante d'Enée après que celui-ci, ayant fui Troie, a fait escale en Afrique du Nord. Mais destiné à fonder Rome, Enée bientôt la quitte, et Didon se tue.
5 … Achille ! / qui avec Amour s’est fort agriché : Une tradition médiévale relie la mort d'Achille à son amour pour Polyxène, fille de Priam et d'Hécube. Pour sa main, Achille aurait trahi la cause grecque, avant d'être tué dans une embuscade tendue par Pâris, frère de Polyxène.
6 … Pâris : A l’origine de la guerre de Troie, coupable du rapt d’Hélène.
7 … deux-là : Le couple le plus célèbre de la Comédie. Francesca, fille de Guido da Polenta, seigneur de Ravenne, naquit vers 1255. Elle était, dit-on, de grande beauté. En 1275, son père la maria à Gianciotto, deuxième fils de la maison des Malatesta, seigneurs de Rimini. Gianciotto n’était pas sans valeur, mais il était malformé et, paraît-il, assez glacé s’agissant des plaisirs. Francesca s'ennuyait dans le château des Rimini, quand elle fit connaissance de son beau-frère Paolo Malatesta, plus jeune, plus à son goût. Ils furent amoureux. Un jour, l'époux surprit les amants et les détruisit. Cela se passait entre 1283 et 1286. Paolo Malatesta était né vers 1246. En 1282, il avait été appelé comme capitaine du peuple à Florence où il était demeuré près d'un an : il est possible que Dante, alors âgé de dix-huit ans, l'y ait rencontré.
8 … lui : Paolo.
9 Amour à l’aimé d’aimer ne fait grâce : Aucune des règles du code d’amour courtois contenu dans L’Art d’aimer d’André le Chapelain ne dit cela ; mais certaines d’entre elles furent déformées par la tradition pour conduire à cette interprétation tendancieuse.
10 Caïne : Zone du dernier cercle de l’enfer où vont les trahisseurs à leur famille (v. Enfer 32).
11 … sourire prié : Celui de la reine Guenièvre.
12 … si beau soupirant : Lancelot.
13 celui-ci : Paolo.
14 Galehaut : Seigneur des îles Lointaines et ardent ami de Lancelot, il est celui qui favorise, dans la légende, les rencontres avec Guenièvre.
Antoine Brea a récemment fait
paraître Récit d'un avocat aux éditions Le Quartanier.
1) UNE VIDEO EXPLICATIVE
2) LE TEXTE DU SON
Le son [nom] n°8 - Thomas Braichet
Entre des oreilles de serrage
Entre des oreilles de serrage, c’est un hommage à l’admirable,
au regretté Thomas Braichet. C’est une pièce musicale
faite avec les sons du nom Thomas Braichet. C’est aussi
un texte (une version abrégée) généré par un logiciel
de reconnaissance vocale quand on lui répète en boucle
ce qu’il est capable d’entendre (dont il peut au moins
rendre des approximations), mais qu’il est incapable
de comprendre, soit le nom Thomas Braichet.
C’est enfin une lecture de ce texte, en quelque sorte
spatialisée. Façon de créer une page abstraite (aux marges mobiles),
un vers imaginaire.
Voici Entre des oreilles de serrage, dans cinq, quatre…
+
De gauche (g) à droite :
(Séance du 22 octobre 2016) – Selon la marée
est allée en Alain scieller harcelé par Alain
Angle entre se fond dans les années et un des
hommes armés par le défunt mari si elle aura
les Omaha si elles ont arraisonné dans le marais
salant les cinq hommes armés des navires dans les
combats ont le droit de voir comment les gérer les
fonds marins et dans ma vue est en léger au moins
dans de nombreux hommes armés au dans la rue ses
hommes armés les hommes armés ces hommes armés et
les coudes l’on essaie d’un millier de nombreuses
comment les ailes dans les rues de neuf volts
la nombreuse ombre indonésienne avoir les cinq
ans non renouvelable un an et toujours – je faire
voler suffire de (g)L’issue d’un tunnel. nous avons
eu un tué dans un chez nous en est le réservoir
et l’Angleterre reléguant par les romains devant
le siège devant les voir Les nombreuses rumeurs
heureuses. Je vous offre un ou des mines, un embarras.
un an à 15 h terrain dont le nombre de colons pleinement
les élèves dans les heures par jour vers 6 h de nuit dans
la Les dialogues moi. car le graët le nombre de les les
jours à 12 milles entre hommes avaient auront ou non un
second de la Malaysia elles ont enlevé en Corée du Nord
a fait 15 un ont 15 Hong-Kong dans les rues les rares
est le réservoir interrole avons dans nos mains levées
Leurs marges normales. si elle est le monde à 9 h ou si
elle réserve avoir le choix des fonds dont un rôle de loi
au monde un an un en fait un os à la halle gorvan les chemins
l’escale aux morlaisiens un mort pour nous dans la région
du palmarès lieu noir et un jour je le crains peu dans
la rue selon un de ces hommes armés (g)Un jeune homme avait
fait un blessé dans un piège dans le bois dans le nord.
Est-ce vraiment le Finlandais? renfermant les engagements
du nord en élevant ses hommes à ces jours 16 membres et
leurs efforts et Londres et Omar les hommes armés en Égypte
comment les combats si l’averse est l’œuvre au laser un an
un nom il y a un an ou un émigré le stand aurait pour un
ou deux malaisiens avant l’heureux élu corse en main
les moments les nombres un arbre un jour le jour nous
avons dans les airs Londres et comment avoir les heures
dressées par les anglais pas à salaire à ses amarres
maraîchères algériennes maraîchères de Madagascar
à réagir de manière à laisser la place à la classe
ouvrière dans la mesure de la salle moi Salomon au
moment des aléas de l’Alabama à la mesure de l’atome
Parisienne comme Arlésienne comme l’Arlésienne d’Omaha
les années passées à Camaret les ailes de Madagascar (g)Damas
est anormale.réserve des marais est la menace à la place
Goma Maaref de la seule la deuxième place à des marées de
camarades cinq hommes armés ont demandé elle apparaît assez
sa menace la maréchale le maréchal Hermann en amont comme
base de la masse du tonnage de mademoiselle mais elle demeure
s’adresse à la neige à la longère à la date de 1500
blessés par balles dans la barre des acteurs
majeurs dans la chaîne d’amarrage est-ce la camargue
est-ce là la seule le malaise a salué par la base comme
le lâcher par le jeune homme arrêté dans le marais d’armes américaines ne la le.
(Séances des 11 et 12 novembre 2016) – (g)On a au moins
les homards nus et crus. un léger oranger court géré selon
le gel ou un pied dans un contre au manoir de convaincre les
si nous chez L’homme dans un film, dans un fichier, dans un pied,
dans un juge. Claude jeune homme noir ou un G du premier juillet
comme Génial inventeur chez leurs jouets. chignon dans une pièce
le 20 juin non nucléaire sous un ciel un ciel un gel ou un objet
en vinrent gernot au moins jouer un rôle d’algue comme jeune homme
engagé comme siège de l’ONG orge et (g)Orge est normale. et tuer dans
tous les mouvements orange les banques dans un long fleuve le jour
des orangers d’Alain Géhin l’éloge d’où vous êtes les journées de
fin juin (g)Les cigales malaisiennes vivement montrent que le nom
du monde en titre est sous un nom leçons.malaisiennes à vendre
hommage à Londres demande si nous ne sommes pas Fernando de Herrera.
(g)Thomas, né G. Thomas, le collègue, on l’ajoute à la neige.
et Thorvald relâche Omar Belhouchet nous les neuf membres
et Michel Thomas léger fondent à l’échelle des moins riches
en prenant chez les hommes de légers choix de l’évêché au mois
de l’échelle entre les chefs au moins les chevaux indigènes au
mois de septembre à Bruxelles chez le mâle et chez les hommes
allègement des excréments les éleveurs tenus d’un allègement
des États membres légers manèges Tom le Malgache et Mme Eugène
Thomas les chiffres tchèques dans la brèche par le maréchal
dans la brèche par marge est en marge de la marge de manœuvre
tendance générale de Tomas Richet. Abrégé, le maréchal Hermann,
riche homme d’origine, commente fort mal. et fait un match.
Les alcalins les alcaloïdes à l'ONU les louanges abaissées
les marchés Le marché comme signe, comme chef. empochant en
rejetant Bruxelles commandant-en-chef commandant challe comment
les jeunes comme religion comment les grands du Chili en grand
danger et aux maraîchers dans la région dans le second grand Brech
et au maréchal et en anglais Achète un château de la région des
homards. Comment le commandant Jacques Thomas mange de nombreux châteaux.
de lorge Norvège au comment déjà comme risque ne me demande pas si elle
échappe en effet à André (g)La chaleur reste esclavage, montre un double.
il y aura le marin Marc Le conjoint permanent qui ravage tôt le château.
de kWh au mariage la tour de je riche à tort de blé je tends le nord à
redresser les comptes annuels et le Collège a relâché Sa marge, en anglais,
se lamente. (g)Là, n’allez pas chez les lourds mâles et chez les plantes.
mâles qui tiennent dans un Est Thomas laisse Thomas les états laissés
aux marées (g)Un homme laisse à l’Est un échec. un marais de tendresse
celle réservée aux voisins (g)Les choses, leur rôle est lourd. selon
Moret restent les Normands de Saint-Lô très chers en malaises alors
que le malaise les ordres malaisés de nombreux journaux reçoivent
les États voisins. Ce que je tonne de terre est en un sens ou un
jour où le grand duché comme chez (g)L’aborigène, un jour normal,
s’adresse à Noël. linge trois jours (g)Un chemin riche en gains.
(g)L’abolition de la police. contre les instants avant
les adresses au (g)Rôle est ouvert.
3) LE SON DU TEXTE
[Ecouter sur SOUNDCLOUD]
Steve Savage vit et travaille à Montréal. Il a récemment fait
paraître Mina Pam Dick aux éditions Le Quartanier.
je lis mal
je dors mal
j'écris mal
j'ai mal au dos
j'ai mal au doigt de pied
c'est un bon début
toutes les fins sont ratées
on s'endort au milieu des chefs d'œuvres
l'imitation de
la fesse droite par
la fesse gauche
donne lieu à des métaphores
qui s'annulent
lire de la poésie revient
à essorer la salade, à ne pas lire
de la poésie
à ne pas essorer
la salade
-
on les trouve doux
ils nous trouvent confortable
tu prétends aller
prendre une douche mais
je n'entends pas beaucoup l'eau couler
je dépense l'argent
qu'on me doit : essayons
d'accepter que
les événements s'empilent
vers le bas
sans atteindre une cible
je suis dans le train du retour
tous les chats ne peuvent pas en dire autant
Traduits de l'américain par Michelle Wonja et Samuel Rochery
BAR
Le poète Michael Palmer se rendit à l’Université
de Maryland durant ma dernière année et y proposa
un atelier d’écriture. Il parla d’un poème qu’il
avait écrit et qui décrivait un bar. Il dit que
Philip Levine, Lauréat de Poésie Américaine,
un poète très narratif, donna une fois un entretien
à la radio où son hôte la jouait, genre « Phil,
ce poème à propos d’un bar : je sais exactement
où se trouve ce bar. J’y suis allé.
Ta description est si précise que je
connais parfaitement cet endroit et tu en as
capté l’essence à la perfection. » Et Palmer
dit que son propre poème à lui, à propos d’un bar, était
fondamentalement différent parce que son bar
était un bar dans lequel vous ne pourriez justement
jamais aller, même si vous le vouliez. Personne
ne pouvait dire, ni ne pouvait vouloir dire de
ce poème, « Je connais cet endroit. J’y suis allé, »
parce qu’il existait dans l’esprit uniquement sous
la forme d’une expérience de l’imagination ou d’une métaphore.
ENIGME
L’énigme est un exercice en métaphore,
intriguant, dans lequel la teneur (en référence
au sens du concept, objet, personne) est obscurcie
par l’interlocuteur au moyen d’un véhicule léger
(l’image qui porte le poids de la comparaison), qui
vaut comme point de ressemblance partielle. Si une
corne est comme une personne sainte, c’est simplement
parce que les deux se rejoignent dans un troisième
point triangulaire en tant qu’objets marqués d’élévation
(la corne s’étire verticalement vers le haut, à mimer
une transcendance de l’homme face à la divine).
Nous pourrions dire que corne = sainte à la manière
de l’élévation, i.e., A = C à la manière de B.
Eau = os à la manière de l’iceberg. Une créature
à trois pattes = un vieil homme à la manière d’une canne.
La compréhension de C par A est compliquée, ralentie,
par son insistance sur un analogue, B. Ainsi,
lorsque quelqu’un semble avoir du mal à s’exprimer
directement sur la chose qu’il a en tête,
la raison en est, peut-être, qu’une telle
chose est cachée ou coupée de lui et que
le monde est, selon toute apparence, rien
d’autre qu’une série de véhicules dans
lesquels la vie est un processus d’essais
et d’erreurs d’illumination et de solution.
Textes parus sur le site Poor Claudia
Un adolescent en pleine croissance fait des pneumothoraxs bilatéraux à répétition.
Est-ce autobiographique ?
La question ! Réponds à la question imbécile !
On aurait envie de répondre que nos mots sont ceux du pneumologue et nos actes, ceux du prothésiste.
Enroulé avec une couleuvre de langage sur le bâton d'Asclépios.
C'est un problème d'adhérences postopératoire.
Perdre de vue que le danger le plus fréquent que l'on court est de s'emmêler dans ses propres
contradictions nous mène à s'emmêler dans nos contradictions.
Un pilulier au lieu d'un agenda. C'était le seul moyen pour qu'on s'y retrouve.
On n'est pas certain de suivre.
À bord de la cabine d'exploration fonctionnelle respiratoire,
accompagné des stagiaires multidisciplinaires de la pitié,
on s'enfonce dans les 1000 anomalies différentes du chromosome 15 pour se mesurer aux maladies systémiques du tissu conjonctif.
Vont-ils en revenir vivants ?
La question ! Réponds à la question imbécile !
Quack! Quack !
Au pire : rapatriement d'urgence par ambulance aérienne ou vol commercial première classe avec équipe médicale et champagne.
En déficit d'oxygène, on se rappelle l'énigme logique que pose Armand Saint-Amour,
incarné par Willie Lamothe, dans le film La mort d'un bûcheron :
« Y'es-tu mort le mort ou y'est pas mort le mort ».
« Y'es-tu mort le mort ou y'est pas mort le mort ».
« Y'es-tu mort le mort ou y'est pas mort le mort ».
Les membres du cadavre étaient particulièrement raides et mal attachés.
En transportant le corps à la morgue, les infirmières ont eu la frousse
de leur vie lorsque le bras gauche s'est déployé comme un ressort et s'est coincé dans les portes de l'ascenseur.
C'était un moyen plus ou moins secret pour réussir l'intrigue.
Le programme simple cette semaine: Contrôle de l'épanchement pleural gazeux par talcage.
PROTOCOLE
Sous anesthésie générale, en décubitus latéral droit,
la préparation avec Proviodine et la mise en place des champs stériles
ont été faites de façon habituelle. On est rentré dans la cavité thoracique
gauche par une incision latérale au niveau du 5e espace intercostal.
Les adhérences au lobe supérieur gauche ont été divisées avec
le cautère et puis on a trouvé la région des bulles. On a réséqué
cette partie avec des agrafes TA55 deux fois. Puis on a rempli la cavité
thoracique et on a gonflé le poumon afin de vérifier qu'il n'y avait pas
de fuite. Puis, on a fait une pleurodèse avec un frottement à l'aide d'une
compresse sur la plèvre pariétale et on a fait de l'hémostase avec le cautère.
Puis, on a mis deux drains thoraciques 24 French, un antérieur et un autre postérieur.
On a sécurisé ces drains avec un dermalon 3-0. Puis, on a fermé la plaie en couches
avec des agrafes pour la peau. Les drains thoraciques ont été branchés à moins de 15 cm d'eau de succion.
L'intervention a été bien tolérée. Les pertes sanguines sont de moins de 50 cc.
En fronçant un peu les yeux, focus et discernement de la mutation du gène fibrilline-1 (FBN1).
Collé à la plèvre, un document écrit en patte d'araignée qui l'atteste: Syndrome de Marfan.
Ça montre les pratiques de mutants arachnodactyles et des marfanoïdes, qui, emmêlés dans
leurs membres trop longs, récoltent des matériaux et essaient de les organiser.
Une persistance même en cas de désarticulation.
- Réorganiser sa pensée plusieurs fois par jour sans devoir se réinitialiser.
- Prendre des forces pour les perdre aussitôt.
- S'interroger sur la dimension environnementale qu'implique le choix
entre l'aorte de porc ou de plastique pour guérir une dilatation aortique problématique.
- Dessiner un terrain de pensées aux espaces extérieurs flexibles avec des éléments
amovibles qui invite à changer de chemise d'hôpital en toute discrétion, sans se déguiser.
- Se rendre de la cuisine à la chambre avec un affaissement du poumon et un point de côté.
- Déposer des problèmes pour que certaines personnes nous aident à les régler.
...
(La suite au prochain numéro.)
Philippe Charron est l'auteur de Journée des Dupes (2013)
et de Supporters tuilés (2006), tous deux parus aux éditions
le Quartanier, à Montréal. Il poursuit actuellement un projet intitulé Le syndrome de Marfan.
Traduits de l'américain par Michelle Wonja et Samuel Rochery
BON GARS
Ça m’a rattrapé de façon brutale
en lisant les commentaires dédiés à la mémoire
des 26 enfants et enseignants qui sont morts dans
la tuerie de Sandy Hook School. M’intéressent les
façons que nous avons de mythologiser ce que nous
sommes incapables d’assumer. Nous disons d’un enfant qu'il est « sans peur »,
« une lumière », « une source intarrissable
de rires et de joie » et nous commémorons ce dont nous
voulons nous rappeler. C’est facile avec les enfants,
bien sûr. Personne ne va dire que la nécrologie devrait
mentionner le fait que l’enfant avait des difficultés à partager.
Cet enfant un peu plus âgé, dont l’affaire est compliquée
par le racisme, Michael Brown, nous avons une certaine façon de nous rappeler de lui
comme d’un « bon gars » qui ne « méritait pas de mourir »
(assigner une moralité à quelqu’un ne nous autorise pas
à décider si oui ou non il méritait quoi que ce soit).
Cette connexion faite à la manière d’un
vol à l’étalage, c'était juste assez pour autoriser
les gens à remettre en question la moralité de Michael Brown,
permettant ainsi à certains (les blancs) de ne pas le considérer
comme quelqu’un ne méritant pas de se faire fatalement tuer
par la police dont le boulot est de le protéger. Je ne suis
vraiment pas à l’aise avec le mot/concept « mériter ».
POURQUOI LA POESIE
La définition du Merriam-Webster pour « mériter » est insignifiante.
C’est un mot qui comporte d’insidieuses connotations sexistes, racistes,
classistes, qui ne sont pas évoquées dans le dictionnaire. Avons-nous
un dictionnaire pour les euphémismes et leurs corrélatifs ?
C’est, pour moi, en partie : pourquoi la poésie.
Il y a une section commentaires, et c’est une perte de temps.
Textes parus sur le site Poor Claudia
1 • Kill the flintstones ! • 2'06
2 • C'meuon • 2'04
3 • Orange sweatback • 3'06
4 • Maodddèbouka • 2'53
[Ecouter sur SOUNDCLOUD]
Crédits :
Voix, basse, guitare, enregistrement : Fernand Fernandez
Basse : Samuel Rochery, sur "Maodddèbouka"

Photo : Fernand Fernandez.
Remix des scoops / remise des coupes
réunit enfin Yves Bonnefoy et Jacques Roubaud sur le même 45 tours
lumineux de poésie dansante ! L'échantillonnage pratiqué ici consiste
à faire dire à Bonnefoy
et Roubaud des choses qu'ils n'ont jamais dites à proprement parler (les titres en boucle),
mais qu'ils "disent" à proprement composer
avec quelques sons isolés produits par leur voix dans les entretiens.
A • "Eden Oh", la poésie sonore d'Yves Bonnefoy • 2'36
B • "ça ne va pas sans langue", la poésie sonore de Jacques Roubaud • 2'15
Crédits :
Echantillonnage, basse, guitare, montage : Samuel Rochery
A • Sample : Yves Bonnefoy, extraits de "La poésie est fondatrice d'être",
émission radio "La grande Table" de France Culture.
B • Sample : Jacques Roubaud, extraits d'une présentation vidéo du projet
"Le grand incendie de Londres".
[Ecouter sur SOUNDCLOUD]

Image : publicité de 1921 (magazine Film Fun).
Eden oh, ni,
Eden oh, in,
ce mouvement-là, c'est la poésie.
Ce neuvième numéro de Watts
a été achevé de coder
le 27 décembre 2016,
sur l'ordinateur de Robert Watts.