Signez la pétition pour que les poètes arrêtent de lire de la poésie, sur change.org
un abri de fortune ;
un camping surprenant ;
un processus d’évaporation ;
un processus de condensation ;
un jeu de rôle grandeur nature ;
une flaque qui s’adapte aux contours du sol ;
une porosité entre main et mental ;
une porosité entre intention et accident ;
une porosité entre poésie et non-poésie ;
une porosité entre copie et original ;
une porosité entre poète et lecteur·ice ;
une porosité entre concierge et architecte ;
une porosité entre Sylvester et Ludwig ;
une porosité entre Simone et Lee ;
une porosité entre forme et fond ;
une porosité dans un sol d’apparence ferme ;
un champ très vaste, mais qui semble petit ;
un champ rempli de miroirs et d’alouettes ;
un champ rempli de corbeaux sensibles ;
un contenant en plastique vivant ;
un contenant pour les unités de sensibilité ;
une combine honnête et sensible ;
un crime parfaitement bienveillant ;
le temps qu’il faut pour le commettre ;
un temps parfaitement mort-vivant ;
un temps pour faire et défaire à la fois ;
un temps des récoltes en saison froide ;
des légumes et les sucreries dans la même assiette ;
une assiette qui cache le trou dans la table.
Singe avait appris avec Barthes à se méfier des
tautologies
et à les prendre pour ce qu’elles sont :
la « sagesse » de la bourgeoisie :
un sou est un sou
et tant d’autres comme ça
qui nous mènent par le bout du nez
quand ce n’est pas de vie à trépas :
à la guerre comme à la guerre
Car ce sont gens sans peur
mais pas sans reproches
gens sans terre
mais pas sans cimetières.
—
Sur le champ de bataille Singe rampe
dans la boue sur les coudes et
genoux et ne comprend pas pourquoi
on ne peut pas mourir debout.
Je n’ai que mépris pour ceux
qui prétendent avoir inventé la poudre, disait-il.
Quant à ceux qui l’ont vraiment inventée,
ce sont de réels dangers, ajoutait-il.
Et pour éviter tout débat il déclarait :
C’est pourquoi je n’ai jamais voulu être président de
la république
Son programme :
Trainons des pieds, renâclons!
Nous sommes gens solides
et ce n’est pas à la première invective que nous
céderons !
Notre humeur est belle, lambinons !
Notre honneur est grand, résistons !
Et si il le faut vraiment,
comme les enfants,
chantons !
Signe et Singe sont appréciables comme voisins,
comme bons voisins
ils sont un peu mêmes choses
au pays des mots :
identiques lettres en un ordre différent
ce qui permet à Singe
de (nous) faire signe
et nous de le comprendre.
Voici une galerie de mimes,
ses murs tendus de velours rouge et de soie noire,
et dessus, alternativement, les portraits muets
(la vertu constituante de la photographie est le
silence)
des mimes les plus célèbres que la terre ait portés
— après l’invention du médium susnommé :
Alors devant ses maîtres, Singe est admiratif !
Il singe admirablement le gisant
(il peut rester en apnée très longtemps)
reposant sur le dos,
le nez pointant vers le haut,
les narines pincées
les bras croisés et
les mains jointes.
Singe fait très bien l’orant autant
(cela sans jeu de mots)
que le gisant,
à genoux,
tellement bien qu’au bout d’un moment,
nous qui le regardons, d’attention et de fatigue,
on croit voir sa prière monter doucement vers
le ciel comme une petite colonne
de poussière dans
la lumière.
1.
Je suis rentrée chez moi un long
froid dans le dos. C’était une volonté
de faire grandir les mots,
où les roses sont du plumage
et du plumage
un stylo. Où la neige
est un genre du noir ;
ou bien de l’encre
comme de la peau. Mon nom
c’est une façon de devenir
ce que tu es – voilà ce qu'on
entend respirer entre mes lèvres.
J’ai peur en forme, j’en sors
si j'improvise.
2.
En bonne danger que je suis,
je cours autour de la maison telle
une souris affolée.
J’agite les bras comme si c’était
une paire de hochets, j'élucubre mon quotidien
du coeur – lequel me traduit partout
sous forme de miettes.
Ma doublure est mon nom,
Rougée. Ma peau
comme l’oeil d’un tigre est sombre,
ce n’est pas ce qu’on dit.
Et moi
je veux dire ceci :
les fenêtres de la maison donnent sur des fuites.
3.
Vaillante culotte, je vais de mes propres
mains où l’eau
est quasiment poussière.
J’apporte cet amour
aux rides
de la terre : une manif de
bulles roses tirées
du souvenir d’eaux capables
de fabriquer un regard.
Mes mains luisent comme des yeux
dans une houle.
(Les enfants sous la pluie me traitent de
lyre quand je mens au sujet
de la mer.)
4.
Tu vois
ces croûtes
sur mes genoux,
et le mélange, de rougée
de rose,
des pétales
arrachés
qui fleurissent
dans mes lacets ?
Je fais grandir
des pierres
chaque fois que
je
tombe.
5.
La moindre histoire une fable.
La moindre fable une découpe.
La moindre découpe une langue.
La moindre langue une formation.
Petit couteau, je suis quelle forme ?
Quand ce n’est pas mon jour,
quand ma vie n’est que
du tricycle et du ciel,
je suis quelle forme ?
Je serai où quand tu m’appelleras
par un nouveau
nom ? Aurai-je le même visage ?
Serai-je dans des cheveux gris ?
Est-ce vrai que je partirai en parlant comme ça ?
Par une approche archéologique au livre À midi, une joie, paru aux
Herbes rouges, à Montréal, en mai 2024, je découvre ici des strates de
mon travail de l’écrire.
–
Ce qui s’entend comme une chansonnette laide, un logement buccal
pour ma question silencieuse : que me veut-on, que me veut-on ?
Dans le miroir, je distingue sur mes lèvres la forme des syllabes, sans
plus. Je ne sais pas, c’est exact. J’ai déjà fait don de que me veut-on,
que me veut-on, reflet d’une parole écartée. Attiré·e à mon tour par
les mots des autres à qui j’ai donné, il me reste l’envie extraordinaire
de leurs bouches enrayées par mon atténuation.
Qu’a à voir le métal avec le projet de redéfinir la force ? Une langue
qui touche le métal froid y colle.
Manger très peu importe — s’entretenir faible et évolutive importe,
condition du maintien de l’attention — du souci, on me remarque
mieux encore à l’ombre de moi, ce qui s’entend comme une
chansonnette laide. Tant que j’écris n’exister, tant que je coupe les
protéines, tant que le jus s’évapore du texte anémique, tant que je
prépare le reflet de mes lèvres, tant que je cite, je repose : « L’outil
donnait un trou et une forme. » (Simone Weil, Journal d’usine, 1934-
1935). Qui raconte le travail improbable que demande cette
manœuvre consistant, à l’aide du corps de toute sa pensée, à
manifester une existence par un excès d’inexistence ?
La forme séduit me semble être une traduction acceptable, ou au
moins un compliment renvoyé à la voix passive de « form is
seductive » (Lee Lozano, Form & Content, 1971). On a fait ce qu’on
pouvait, on a été tellement désagréable, on a tourné sans jamais
répondre. Je cherche une cible — l’attraction — dans le corps que j’ai.
On est aimanté·e, tiré·e à l’envers du soleil. Si j’étais honnête, je dirais
que j’étends les tissus sous les néons en cherchant une forme pour
mon travail. Les néons et le soleil, c’est pareil.
Je vois plusieurs corps informes mêlés aux ordres contradictoires des
marchés du livre, de l’art, de l’emploi, de fruits et légumes. Je les
crois sans espoir d’aucune forme — d’être en forme. Il s’agit de nos
corps desquels certain·es personnes ont peur. Ce n’est pas qu’ils sont
perçus comme incapables, au contraire, nos corps informes sont
redoutables justement à cause de ce qu’ils sont capables de redéfinir.
La voix d’Edgar entré en transe, une fois la connexion établie avec le
corps mal d’une personne à soigner, annonce « on a le corps »
(Thomas Sugrue, There is a River, The Story of Edgar Cayce, 1942). Le
corps malade se laisse lire, sans pour autant livrer la clé de sa
guérison.
Mon pronom gonflable est poumon.
Exactement dans le battement entre un lien établi et un lien défait
apparaît l’aspect lacunaire de nos lectures. Elles sont lacunaires et
excessives. Entre les savoirs de l’ornithologie et de l’ornithomancie,
un endommagement du sens — l’espace discursif du doute.
L’histoire, c’est ? Le mouillage des acquis. Se comprendre sans plus
s’avère un ancrage suffisant. Je jure que certaines décisions me sont
suggérées par les oiseaux. Je le jure en habitant mon très peu de
tente en feu — vêtement utile.
C’est pensé comme si je faisais des liens, comme si je nommais tout
ce que je lie. C’est pensé comme si j’avais les moyens de suivre,
comme si je ramassais soigneusement les débris, comme si les
retailles contenaient une force. C’est pensé, alors que les matériaux
de cette pensée sont périssables.
On a la langue de toutes nos faiblesses.
Traduit de l'anglais (américain) par Samuel Rochery
    
Dans un documentaire bizarrement ingénu et étrangement tonique sur la réalisation de L'Exorciste, Acte de Foi, William Friedkin parle de ce qu'il appelle des notes d'agrément, les petites scènes, les restes, les moments de ses films qui ne font pas nécessairement avancer le récit ou l'intrigue. Il mentionne une séquence muette dans laquelle Ellen Burstyn (qui joue la mère de Regan) rentre chez elle à pied sous le soleil d’un après-midi à Georgetown, la caméra voyant ce qu'elle voit : des enfants qui jouent, des religieuses marchant tandis que le vent gonfle leurs robes, une moto qui passe, les feuilles soufflées par la brise. Rien ne se passe dans cette courte scène et pourtant elle ancre le film dans quelque chose de plus profond que son intrigue, le libérant momentanément des contraintes du récit.
      
Je peux imaginer que, lors de la réalisation d'un film, il y ait des pressions pour ne pas tourner ou inclure de telles notes. Pourquoi dépenser du temps et de l'argent sur une scène qui ne fait pas avancer l'intrigue ? Et c’est ce que je ressens parfois à propos de ma sœur décédée Kori : ce sont les petites choses sans importance dont je me souviens et je me demande : est-ce suffisant ? La lumière du soleil sur une barrette jaune. Mes mains sur son dos, la poussant sur la balançoire du jardin. Elle, remuant de la limonade en poudre dans le pichet en verre. Une accumulation de moments qui ne correspondent pas à l'histoire de sa vie, et pourtant c'est tout ce que j'ai.
      
Ce sont mes notes d'agrément.
Texte paru dans le numéro 22.2 de la revue Diagram.
Quand Elsa est furax, les escaliers elle oublie
Quand Elsa est furax, les escaliers
elle oublie, et les araignées et le sang
dans les veines et les consécrations et
les bonnes murges, tout. La Suisse, même pas la peine.
Quand elle est furax elle peut t’oublier
toi sauf quand c’est je me rappelle
pourquoi je suis furax c’est à cause de
toi. New York, terminé. Non, Versailles,
terminé. L’attache du soutif me laboure
le dos. Les garçons qui ne m’aiment pas eh
bien ils ne m’aimeront pas. Je m'assois dans le métro tiens-
moi la main. Tu n’es pas la première qui
rentre chez elle en songeant à se foutre en l’air.
Elsa retire son pantalon sous les draps.
Elsa ne fait pas la différence entre
J'aime les lignes qui te marquent le cul —
culottes, ruban isolant, sutures après d’intenses
coups de martinets. Elsa ne fait pas la différence
entre des taches de chocolat et des taches
de menstrues sur ses draps. Elle est si triste. C’est
le manque de fer ou c’est le deuil ?
Elsa, c’est quoi le deuil et est-ce que ça peut
s’apprendre. Elsa, c’est par le milieu qu’on commence
à se déchirer. Quand je ne sais plus qui je suis
Je me mets des perles et du parfum. Une seule histoire
me trotte dans la tête, celle
que c’est urgent qu’on m’embrasse.
Les bateaux fichus comme des oiseaux vont vers l’ouest, et
son coeur est fantômisé même pas la peine.
Elsa on l’a poignardée à mort elle avait sa clé
Elsa on l’a poignardée à mort elle avait sa clé
dans la porte d’entrée un pied dans la rue.
Il y avait le dos d’Elsa dans la rue elle portait
des écouteurs les taxis passaient. Elsa
écoutait de la musique sa musique était forte
sa mort fut musique. Son petit ami était parti il filait
vers le Wisconsin il n’existe pas.
Aucune raison pour que cela arrive elle le méritait
elle était jolie elle n’existe pas. Elle se sentait
belle elle se sentait super dans sa
vie passée peut-être. Elle se sentait
penser cette vie est belle et super
dans une vie future peut-être. Dans l’immeuble ça sentait
le cumin il n’y a rien d’autre à dire.
Traduits par Simon Brown (2022-24)*
***
CONSIDÉRER LES MAINS QUE TU NE TOUCHERAS JAMAIS
Calme ta tête. Dur labeur et chance t’entourent. Prends une douche avant la grande
décision. Une sœur aînée avait raison sur nos corps qui finissent par tomber. Mais elle
s’est trompée sur quand, comment, et pourquoi. Le mot faim surgit, peu importe la
langue, peu importe l’assaisonnement. C’est comme ça. Je te demande juste de bien
huiler ta poêle en fonte. Le dernier mensonge ne compte pas. Tu voulais tellement
qu’il soit vrai. Laver le plastique avant de le recycler, c’est considérer les mains que
tu ne toucheras jamais. Le garçon qui a dit que la pire chose de moi, c’est ce qu’un
homme m’avait fait. Lui aussi, dis-lui que tu l’as aimé. Dans un autre livre, tu trouves
la colère d’une mère si liquide de tristesse que ça devient une flaque. Tu peux te
regarder dedans, comme un miroir. Dans un autre appartement se trouvent les mots
lumière et naturelle. Dans un autre lavabo ne se trouve rien. Tes pertes reviennent
comme un marteau à la corde. Un mal acide dans les archives de l’estomac. Tu veux
savoir ce qui se passe après. Tu vas finir par le savoir. Peut-être que tu le sais déjà.
Mais ce serait une coïncidence. As-tu vu tout ce que les gens font pour survivre ? Le
plus long dans la vie, c’est exiger une image.
CONSIDÉRER ET VICE VERSA
Il y a une centaine d’années, on a inventé la déciseconde. Ce n’était pas la durée la
plus courte au monde non plus. Pas pour très longtemps. Aussi long que ton long
intestin. Tu vivras, tu verras. Une coïncidence s’enchaîne. Éviscère les archives pour
la suite. Ouvre la trappe d’un piano droit pour entendre le toucher qui devient
musique. Pas une seule trace d’angoisse à l’intérieur. À l’intérieur de toi, un autre. On
est rempli d’ellipses et de renversements. Et on finit par les aimer. Souvent, j’ai envie
de lire la fin en premier. Souvent, je ne fais pas ce dont j’ai envie. Pour avoir l’air
cohérent, il faut d’abord avoir l’air vrai. Et vice versa. Le pire, c’est qu’on a tendance
à y croire fidèlement, et à être fidèle à nos tendances. Tendance, tendre. Tendre, c’est
aussi étirer. La sauce, le temps, l’argent. L’argent qui arrive avant même la
déciseconde. À chaque phrase son talent, peu importe les dents du vent. À chaque
saison sa faim et son intuition. C’est comme ça qu’un affaissement du temps se
transforme en esprit. On ne sait toujours pas pourquoi. Il y a eu un bon début, et des
bons conseils. Mais avoir de la chance, c’est du sport. J’en oublie plus que je m’en
souviens. Et malgré le silence entre nous, sache qu’on est complètement encerclé.
***
TU N’AS ÉTÉ QU’UNE SEULE FOIS DANS TA VIE LE CHÊNE À GROS
FRUITS
Quand il t’arrive de vouloir être un des chênes à gros fruits du parc Jarry, tu es en
train de penser à d’autres choses aussi. Mais tu penses surtout au chêne à gros fruits.
À son écorce vert jaune qui s’accroche. À comment le temps résonne en dedans. C’est
un chêne à gros fruits en particulier auquel tu penses, mais, souvent, tu penses aussi à
l’ensemble des chênes à gros fruits dans le monde, et le nombre est si vaste que ça
donne le vertige. C’est vraiment épuisant, à vrai dire. Ça t’a pris des centaines
d’années à faire le lien entre ton épuisement et la fréquence à laquelle tu penses au
chêne à gros fruits. Maintenant, quand ça arrive, tu essaies de penser moins
longtemps au chêne à gros fruits. Si tu lèves les yeux, il y aura peut-être une corde à
linge avec des bas étendus tout le long, ou quelqu’un qui regarde par la fenêtre. Il y
aura peut-être une question que tu voulais poser à ta mère. Dans le futur, tu auras
peut-être la chance de sauter dans les eaux froides d’un lac, ou de voir ton grand frère
te saluer de l’autre côté des portes vitrées à l’aéroport. De temps en temps, quand tu
fais du vélo, tu ressens une douleur diffuse dans tes cuisses. La douleur t’empêche de
penser au chêne à gros fruits. Parfois, tu dors. Tes rêves sont presque toujours les
mêmes. Tu n’as été qu’une seule fois dans ta vie le chêne à gros fruits. Une fois ou
deux, en passant une nuit blanche à tomber en amour avec quelqu’un, tu as même
complètement oublié le chêne à gros fruits. On me dit que c’est assez courant. Bien
des gens voudraient être un chêne à gros fruits. Parfois, ça me fait pleurer. Je
m’assois, et je pleure. On ne devrait pas pleurer debout. Comment font les gens pour
pleurer tout dépliés comme ça ? C’est peut-être pourquoi je voudrais être le chêne à
gros fruits, toujours debout, et non pas le saule pleureur, qui est un choix un peu trop
évident, il me semble. Quoique les gens ne choisissent pas non plus de vouloir être un
saule pleureur.
TU N’AS PAS ÉTÉ UNE SEULE FOIS DANS TA VIE
Quand arriveras-tu ? Veux-tu vraiment devenir un gros fruit dégoûtant ? As-tu été
formé·e pour penser les choix laissés au soleil ? Tes pensées passent-elles en dessous
comme une pourriture ? As-tu déjà été un soleil engorgé de vert ? Comment le temps
a-t-il raisonné à l’intérieur ? S’agissait-il d’une singularité dans le monde ? Un
chiffre ? Un vaste cadeau qui donne le vertige ? Une chose très luisante ? Très
racontée ? Un siècle de fierté était-il en train de t’achever ? Entre le son scintillant de
la pensée et maintenant, à quel moment la chanson est-elle arrivée ? À quel moment
prolongeras-tu ton existence comme gros fruit dégoûtant ? En ravivant ta vue, une
chorale de moments difficiles réglera la question des longueurs pour de bon. La
verras-tu de ta fenêtre ? Quelle question poseras-tu au miroir ? Risqueras-tu les eaux
froides du lac ? Verras-tu le bonjour de l’autre côte de la porte mécanique ? Dans le
temps à l’intérieur du temps, quand les moments difficiles se font encore plus
difficiles, reposeras-tu tes jambes ? Si tu étais un gros fruit dégoûtant, les pensées
feraient-elles moins mal ? Le temps dort-il ? Tes rêves deviennent-ils souvenirs ? As-
tu été une seule fois dans ta vie ? Es-tu tombé·e une ou deux fois pendant la nuit ? Qui
t’a permis·e d’oublier le gros fruit dégoûtant ? Dis-moi, as-tu déjà été un courant ? Tu
n’es bien sûr qu’une seule personne parmi les milliers qui sont ou qui ont déjà été un
gros fruit dégoûtant. En es-tu pluriel·le pour autant ? Que pourras-tu supporter de
plus ? Qui supporte à ce point le dégoût de soi ? Ceci est évident : un désir, une
amplitude, être porté·e par une vague, être une vague.
***
Poèmes tirés du recueil Slows: Twice (Coach House, 2023)
* Entre l’original de CONSIDÉRER LES MAINS QUE TU NE TOUCHERAS JAMAIS et la traduction
CONSIDÉRER ET VICE VERSA, il y a eu trois aller-retour traductifs
entre T. Liem et Simon Brown (de l’anglais au français, ensuite
du français à l’anglais, et finalement de l’anglais au français).
Idem pour TU N’AS ÉTÉ QU’UNE SEULE FOIS DANS TA VIE LE CHÊNE À GROS FRUITS
et TU N’AS PAS ÉTÉ UNE SEULE FOIS DANS TA VIE.
Traduit de l'anglais (américain) par Samuel Rochery
ta pourriture est séduisante
ta pourriture c’est un manteau de fourrure que tu as acheté dans un but bien précis
ta pourriture c’est l’animal mort que tu portes partout où tu vas
son sang goutte partout sur le sol
trempe ton pantalon
ou peut-être que tu saignes en coalition avec ton animal mort
c’est chouette que vous fassiez quelque chose ensemble
princière, la manière que vous avez de faire quelque chose ensemble
partout dans le monde chacun possède un animal mort
et tous les pantalons du monde sont couverts de sang
le sang sèche et ça fait tout de suite tendance
les gens sont très tendance ces temps-ci
les enfants à l’école font du commerce avec les animaux morts qu’ils emportent avec eux
les mères sont horrifiées
elles disent mais tu as déjà un animal mort
il est parfait et bien mort
je veux pas que tu me ramènes un renard ou une hermine
contente-toi de ton hamster
mais il n’y a même pas de sang
les hamsters ne saignent pas beaucoup
ça n’impressionne personne
les mères leur collent le hamster mort dans une main
tu porteras un hamster et puis c’est tout
sang, pas sang
je renverse du jus de raisin sur mon pantalon en espérant que ça ressemble à du sang d’animal
je veux être dans le coup
je veux faire partie de tout le monde
c’est dur de sortir de la maison tous les jours
et de parler aux gens
je roule en boule des serviettes de toilette dans le fond d’une de mes poches
pour qu'on croie que j’ai un animal mort à l’intérieur
je fais le modeste avec mon animal mort
j’espère que la modestie en jette
est-ce un animal mort que tu as dans ton pantalon
non je suis juste content de te voir
trop trop content
les animaux morts que les gens portent commencent à pourrir
ils deviennent plus rigides mais leurs boyaux sortent
pas le sang
le sang est tout séché
il n'y en a plus
le sang ça dure pas toute la vie
ne laisse personne te dire que le sang ça marche comme ça
le sang jaillit et ce qui reste c’est du pus sentimental
de la gimauve
de la gimauve qui dégouline du cadavre jusqu'au sol
c'est comme la chenille le jour d’un mariage
ou le coup du voile
genre tu soulèves le voile et tu découvres ton épouse qui pique un fard
si ta tendre épouse est un cadavre en décomposition
si ta tendre épouse est un raton-laveur faisandé
si le rouge de ses joues rougit pour toi
penche-toi et embrasse ta tendre épouse
et tu es connecté à la gimauve
ton visage est un voile
tu piques un fard
tu es un époux
cette odeur c’est le jour de ton mariage
même dans des circonstances moins pénibles
les mariages sont durs
la vie de mariage est dure
si tu avais un hamster ça serait plus facile
un hamster ça déssèche vite, ça pourrit vite
ça durcit et devient ce qu’on appellera une carcasse
allez on y croit, quand tu soulèves le voile de la mariée
derrière, ta tendre épouse c’est un hamster
on croise les doigts, tes lèvres prennent la forme du baiser et au bout de ton visage
c’est un hamster
les gens vous balancent du riz, à toi et ton hamster
félicitations ! tu jettes ton hamster dans la foule
pour voir qui va l’attraper
qui sera le chanceux ou la chanceuse
fille ou garcon
qui sera le prochain à piquer son fard
qui le prochain candidat au mariage
qui va m’attraper ce hamster de ses dix doigts
et le serrer très fort
qui peut le faire
qui est assez fort pour m’extraire la gimauve d’un hamster sur-faisandé
un hamster séché jusqu’à l’os
pique ton fard ! marie-toi ! marie-moi ce hamster ! fait-moi sauter ce hamster ! félicitations !
félicitations
---
Texte publié en 2014 sur un site qui n'existe plus (Housefirebooks).
Traduit une première fois sur le blog Poésie:face B, en 2014.
Ce trentième numéro de Watts
réalisé par Simon Brown et Samuel Rochery
a été achevé de coder
le 7 juin 2024.