Pour une poésie p#rfit//rtemnt!!! lisible
et crûment pastel.
Ce numéro 21 de Watts est hanté par Stéphane, jeune poète meurtrier né en 1998 à Angers. Chloé Guezo l'a rencontré
par hasard sur Tinder, et le courant a passé.
Stéphane est l'auteur d'un crime odieux qu'il n'est pas nécessaire de raconter. Il est plus honnête
de dire qu'on en est incapable, parce qu'on s'en fout.
Stéphane Vromanne s'est emparé de son prénom en se disant qu'il en aurait un de rechange s'il perdait le sien au cours d
'une alexandrinade arrosée.
Chloé Guezo nous a confié une lettre qu'elle a écrite à Stéphane, dans laquelle elle s'inquiète pour son plan cul.
Giao David est remontée à la source du prénom, voire de tous les prénoms.
Lise Dougé nous a fourni le portrait-robot dont s'est servi la police pour coincer Stéphane.
Stéphane Vromanne, Lise Dougé, Chloé Guezo et Giao David font partie d'une équipe de profilers-poètes
qui porte le nom de FLATTAG. Cette équipe est aussi composée, d'habitude, de Samuel Rochery et Amsetou Tafebe,
qui n'ont pas participé à l'aventure stéphanoise. Raison invoquée, pour Rochery : "RTT de poésie".
Nous vous laissons juges de son professionnalisme. Raison invoquée, pour Amsetou : "j'ai autre chose à proposer". Et c'est magnifique.
Après les images
de Lise Dougé, Watts numéro 21 reprend une activité paranormale normale
avec Amsetou Tafebe, Amy Miller, Jake Kennedy et Guillaume Dorvillé.
Robert Watts.
Prénom
Vous êtes un costume désordonné
à la recherche d'un corps convenable.
Vos poignets sont effilochés,
vos chaussettes mordues
au talon
par des chaussures qui fuient
comme de vieux bateaux laminés
au niveau des coutures
par trop de nuits à ramer
contre le courant.
Vous avez ce prénom muet
sur le bout de la langue, ça se voit.
C’est sûrement vous qui ne venez pas.
Prénom
Comme les prénoms,
les vagues parcourent des milliers de kilomètres
pour arriver à faire quelque chose d’autobiographique sur le sable.
Un kilomètre à la fois.
Beaucoup de plages sont inexplicables.
Tout le monde sur ce canapé s'appelle Stéphane.
Nous sommes dans l’appartement de Michel,
qui a disparu en cuisine.
Un Stéphane est un poète.
L'avant-dernier Stéphane se reprend des dragibus
et Stéphane Le Dernier a les dents si blanches
qu'on croirait qu'il a mangé les phares d'une voiture.
Je suis le vague Stéphane du coussin le plus mou (Steph, ou Stef'),
accro à temps plein aux Stéphane.
Nous ne savons pas quelle heure il est mais
nous l'attendons tous, Stéphane.
Stéphane le Poète sort une photo
de sa poche de veste en jean et la fait circuler.
Il s’agit d’une femme blonde aux cheveux épiés,
vêtue d’une jupe courte, "mais on peut voir
qu’elle pourrait ne pas en porter" – t'es un gros lourd, Stéphane.
Stéphane Le Dernier se plaint que tous ses fantômes
ont disparu et Michel crie (ou chante) quelque chose dans la cuisine,
mais il sonne plus comme un animal mourant seul dans une forêt.
Stéphane Le Dernier appelle Michel pour lui demander
s'il n’a pas un peu de musique.
La police surveille la maison de Michel depuis des mois,
mais Stéphane ne veut pas être menotté
pour le meurtre qui l'a inventé.
Tous les Stéphane du canapé restent sagement allongés
sur le canapé. Michel crie depuis sa cuisine qu’il a un casse-tête
qui ne demande qu'à être testé
et l’avant-dernier Stéphane lui répond: «J'aime les casse-tête.»
Que tous les Stéphane, ajoute l'avant-dernier Stéphane,
puissent entrer dans un seul caleçon géant,
C'est un casse-tête à soumettre aux flics.
Stéphane le Poète dit qu'il aime
les jeux, mais pas celui-ci.
Nous avons tous du charisme.
Et toi Michel ? Michel, il est coincé
dans la cuisine et tente à présent
de payer sa facture d'électricité en ligne,
car l'électricité vient de couper.
Tous les Stéphane sont d'accord
Pour dire :"Non, Michel, ça ne peut pas marcher,
même dans un livre de Samuel."
Sa maison est si sombre qu'il semble
que nous portions tous un coupe-vent noir d’exorciste.
Dans vingt ans, pas un seul Stéphane ne se souviendra
de ces nuits – à attendre, en mourant sur le canapé de Michel,
qu’on nous prenne ce que nous n’avons jamais eu.
Nous oublierons ce que nous attendons, comment nous avons attendu
et pour qui nous attendons. Nous allons regarder les étoiles filer,
les corps tomber. Nous allons regarder notre passé
s’effacer progressivement. Certains d'entre nous
se réveilleront lentement de la mort et oublieront
chaque Stéphane de ce canapé.
Sans la musique,
avec des jeux, des lumières éteintes,
une photo et une cuisine, nous attendons Stéphane.
Dans une position sans nom, nous attendons.
Cher poète Tinder,
Si tu veux être un monstre, sois au moins un meurtrier de masse.
Je préférerais de loin que tu viennes me tuer rapidement, s'il te plaît.
Ne me retiens pas dans ton abri de jardin pour les seize prochaines années, à me nourrir de pain sec et
de carottes trop cuites et de céréales Minceur pour mon petit déjeuner.
Injecte-moi un relaxant musculaire.
Fais-moi manger le sol de la cuisine ou attache-moi à une chaise.
Plante une aiguille dans ma veine jugulaire et draine tout mon sang.
Même si je cherche à avoir des relations sexuelles, s’il te plait, ne soit pas un violeur,
s'il s'avère que je ne m'intéresse pas à toi.
Je veux rien de tout ça.
Tranche-moi la gorge.
Si tu ressens des pulsions cannibales après ma mort, je n'y pourrai rien ;
dis-moi seulement si tu penses trouver ton véritable amour dans mon intestin grêle.
Va de l'avant, prend des initiatives.
Enfonce-moi cette hache dans le dos pendant que j'admire ta collection de peluches.

Stéphane (Steph).
Date de naissance : 1998.
Sexe : oui
Orientation : Nord-Est.
Hobbies : Stéphane Mallarmé, Stéphane Bern.
Occupation : poète (niveau professionnel).
La flamme intérieure de Stéphane.
Stéphane, sale chien.
Stéphane, la dent qu'il a contre toi.
Stéphane, pour comparer.

il y a une chèvre, une Volkswagen
et un cœur suspendu entre les choses qui piquent.
Il y a une hachette, juste au cas où, et une ancre.
Il y a un abri. Une femme pleure dans la cour
et les arbres arborent une saison quelconque, indifférents.
Un homme dit qu'il a des certitudes et qu’il n'y échappe pas.
Il y a un chien, une couronne et un bus abandonné.
Une femme jette des sorts, mais
il n’y a pas de vent pour les emporter.
Un coq, sortant probablement du bus.
Il y a quelque chose qui compte,
quelque chose avec des perles.
Tout est fusionné dans un symbole de sauvetage et de forfait.
Un calice, une poitrine, un scarabée.
Il y a un âne doux d’apparence, et une créature ailée
qui pourrait tuer, ou s’économiser.
Il y a des yeux, certains avec des sourcils sévères.
Des cœurs avec une prière forte au centre.
Il y a de l'espoir – tout est une question d'espoir – et son béguin.
Il y a des gens qui adorent ou meurent, offrent ou serrent,
c’est difficile à dire.
Ils sont debout.
C’est un soulagement et parfois une alarme.
Il y a une pierre polie couleur d'escalade, et, au cœur de la pierre,
quelque chose d’irréel qui pourrait nous
aimer.
Traduits par Samuel Rochery
La douleur comme le traducteur universel de Star Trek
Prononce Père et ça dit
Premier cheval.
Prononce Mon amour
et ça dit la liberté.
Ces planètes sont toutes
mes planètes, leurs langues,
mes chansons perdues d’insecte en excès de vitesse.
Allez, Scotty,
tout le monde meurt dans le gel provoqué
par le camion de marchandises de quelqu’un.
On ne t’a jamais renvoyé sous forme
de division ? Et c’est quoi ce langage
rétrograde, désormais ? ça dit
que mon bébé a disparu
lorsque tout ce qui explosa
était un monde.
La douleur comme une petite caisse en bois
Tu la portes avec une main par-dessous,
une par-dessus. Dans le train, tu tires
un pan de ta veste pour la cacher,
même si tu n’es pas sûre
de savoir ce qu’elle contient. Ça fait
comme un bruit de gravier. Aujourd’hui
c’est lourd, un monde si vieux,
terne et plat alors qu’au-dessus de toi
les langues printanières produisent du vert.
Tu en vois d’autres avec leurs caisses,
leur attention méticuleuse,
à faire gaffe où ils mettent les pieds dans les virages,
aux fissures qui pourraient grandir.
Les lâcher – impensable.
Trop délicieux.
La douleur comme la lecture d’un roman à l’eau de rose sur une croisière caribéenne
C’est-à-dire, allez vous faire foutre,
inquiétudes mesquines et glissements de schiste
des épaules impossibles du passé.
Qui me regarde en train de lire, je m’en fous,
ou qui veut me vendre du bonheur
en t-shirt moulant et coquillages –
sirène corsetée. La mer
se monte dessus, et dans son ventre
les créatures aux milliers
d’yeux sont très occupées. Une grande
indifférence attend, au visage de sel, une ligne
qui coupe la vie de l’espace. Les repas
ne sont jamais vraiment gratuits. Vous payez.
Seulement vous ne le savez pas.
Poèmes extraits
de I am on a river and cannot answer, BOAAT Press, 2016 (Chapbook). Une première traduction de ces trois poèmes a paru sur le blog Poésie : face B.
Traduit par Samuel Rochery
Maman RIP
Sa mère se tue. Le chirurgien général venait juste d’établir
que le suicide était un gros risque pour la santé chez ceux qui ont
un excès de revenus. Chère Abby, écrivit-elle, au nom de toutes les filles
concernées partout dans le monde, merci d’encourager « Désespérée aux USA » à
chercher conseil tout de suite – ç’aurait pu être moche. Voyez, elle savait
déjà ce que veut dire bagage. Pensez à elle quand elle avait 17 ans.
Sa mère prit son journal intime et l’utilisa comme collage dans la note de suicide.
Entre ses tentatives et ses gémissements elle prit refuge dans le travail de Baudelaire.
Aigle américain
Elle attaque férocement l’Amérique capitaliste.
On demanda à Jimmy Carter, Ronald Reagan, George Bush,
et Richard Nixon qui ils représentaient et ils répondirent :
« Ces putains de petites adolescentes ». Pour gagner le Projet
d’Intérêt Patriotique Américain, des jeunes pleins d’espoir étaient
éduqués pour s’envoler comme des oiseaux de proie dans les cieux
du commerce. Chaque année les banquiers américains du Top
et les politiciens haut-placés du gouvernement étaient invités par
la CIA pour visionner les travaux d’incendie au napalm dans les pays étrangers.
Elle s’envola sur sa Yamaha à travers les états unis de l’Amérique de Clinton.
Crânes & Têtes de Mort
Elle plagie. Les pirates ont toujours terrorisé la bourgeoisie.
Les pirates polluent le gouvernement, la vie, le commerce, et la culture.
Mais que savons-nous réellement du drapeau noir ? Qui était-elle ?
Quelles armes utilisait-elle ? Le pirate aventurier, au sens strict,
était un voleur, un enfant pornographe avec une sale gueule de paria.
Les pirates étaient des marchands du sexe qui faisaient des cartes
de pays imaginaires peintes avec les mains : vous voyez, le Pirate
était le dernier artiste vrai. Je me rappelle d’elle comme si
c’était hier, comme elle a poussé d’un pas lourd la porte de l’auberge,
avec son gros coffre qui la suivait sur un char à bras. C’était une
femme grande, massive, robuste, aux cheveux châtains. Sa queue de cheval
poisseuse tombait sur les épaules de son manteau bleu très sale.
Elle avait les mains abîmées, couvertes de cicatrices, des ongles noirs
et ébréchés. La cicatrice d’un coup de sabre lui barrait une joue,
une balafre d’un blanc sale. Je la revois, parcourant la crique du
regard et sifflant pour elle-même, ainsi qu’elle le faisait avant
d’entonner ce vieux chant de marin, qu’elle chanta si souvent par la suite* :
"Sang et Boyaux à High School
C'est tout ce que je connais
Parents professeurs petits amis
Tous doivent se casser d'ici"
Rose
Elle meurt du cancer. Trouve que Mexico
râle quand elle respire. La chambre 101 est une chambre
imaginaire dans laquelle vous pouvez mettre des objets,
de la vaisselle, ou même les concepts que vous aimeriez
voir retirés de la vie de tous les jours. Un rituel est
une sorte de retirement de la réalité – la rose fanée
veut dire : la décadence est sacrée, ici. Personne ne le conteste.
* Dans ce tatouage, la section qui va de "Je me rappelle comme si c'était hier"
jusqu'au début du chant est un plagiat (à ceci près que les masculins
sont transformés en féminins) du chapitre 1 de l'île au trésor de Stevenson. Clin d'oeil
de Jake Kennedy à Pussy, king of the pirates, livre d'Acker revisitant le classique stvensionnien. NdT.
Texte paru dans la revue Diagram.
Une première traduction a paru sur le blog Poésie : face B. en 2010.
C'ÉTAIT MOCHE ET PAS TROP MAL À LA FOIS
Un titre d'exposition perdu dans un repas de Noël
Vive le vent
Le savon est à la mode
Frank Sinatra baisse le froc à Elvis
Je tente d'écrire une phrase qui ait du sens
This is not a poem (this is your life)
Poings serrés dans mes gants noirs
Je te dis quoi penser
Barres métalliques lâchées dans du béton coulé
Des yeux artificiels dans un vide-poche
CHEVEUX CLAIRS PANTHÈRE
Tu te crois beau
Tu te crois doux
La vie t'a mis dans de beaux draps
La vie t'a collé une droite à la tempe
Wesh tu crois quoi
Tu n'arrives pas à donner le change
C'est un beau titre « cheveux clairs panthère »
Tu ne desserres pas les mâchoires
Tu ne décroches pas un sourire
Tu utilises le mot « calte » pour dire « casse-toi »
La vie t'a jeté un lavabo dans la gueule
Où est la panthère et où sont tes cheveux clairs
SET DE TABLE
Européens
Araignée qui descend sur son front
Tu dessines Sol LeWitt
Elle remonte dans ses cheveux
Œufs mimosas
Sel & poivre
Poème – tomate – oignon
BISCUIT PITT
« S'il y a une couille dans mon pain au chocolat
c'est un friand à la viande »
C'EST MOI QUI PARLE
En parlant d'un visage
« C'était comme de la merde mais symétrique »
Des poètes professionnels ont calculé que, dans 20 ans, Watts aura tricoté 547 kilomètres de rouleau d'écran et
remplacé toutes les souris par des détonateurs d'ambiance.
Ce vingt-et-unième numéro de Watts
a été achevé de coder
le 31 août 2019,
sur l'ordinateur de Robert Watts.